Exercice de style n°5 : Le point de vue de Livia

Oui, je me souviens bien de ce jour. Avec Claudine, comme d'habitude, nous avons attendu Anne-Cécile pendant quarante-cinq minutes. Si, si, je te jure, quarante-cinq minutes ! Bon d'accord, peut-être dix, mais tu sais comme le temps peut paraître long quand on attend. D'ailleurs, même Claudine commençait à s'énerver. Moi, je surveillais l'heure à la fois sur ma montre et sur mon portable. Il faut dire que j'ai oublié d'avancer ma montre lors du dernier changement d'heure, enfin, j'ai eu la flemme quoi. Et puis après, je me suis dit que ça me donnait un genre et j'aime bien avoir l'air originale, moi ! Mais bon, ça n'est pas très pratique, j'ai toujours des doutes en lisant l'heure. Un tram est passé. J'ai fixé les vitres en espérant y découvrir ma cousine. Je ne l'ai pas vue, d'abord parce que j'ai perdu deux dixièmes à chaque œil lors de ma prépa (oui, c'était vraiment dur, mais j'aime tellement travailler toute la nuit, j'aime tellement souffrir, moi !) et surtout parce qu'elle n'y était pas. Claudine a grogné à côté. Je lui ai tapoté la tête pour qu'elle se calme. Enfin, Anne-Cécile est arrivée. Je l'ai houspillée au sujet de son retard et elle a haussé les épaules en m'expliquant qu'elle avait au moins appliqué la théorie de l'avant du tram. C'est un procédé qu'elle a inventé pendant l'année pour ne pas arriver avec plus de cinq minutes de retard en cours : quelque chose comme se placer à l'avant du tram pour pouvoir en descendre immédiatement sans avoir à se frayer un passage dans la masse des autres retardataires. Nous avons quitté le quai du tram en parlant de notre prochain voyage à Raon. J'ai tellement hâte que Claudine voit notre fief cousinial (oui je sais, « cousinial » n'existe pas, mais j'ai bien le droit d'inventer des mots !) et puis, il faut bien qu'elle découvre le temple du Donon où notre sacré Titou a fait ses premiers pas en tant que dieu (un monsieur lui a même fait l'offrande d'un carré de chocolat!) Nous en profiterons pour lui montrer l'endroit où fut conçu Victor Hugo. A ce propos, j'ai quelques idées de coupe pour les Misérables à lui soumettre. Bon, il est pas mal son roman, il y a même quelques bonnes idées, mais, sauf mon respect, quelle lourdeur dans le développement !

Quelques jours plus tard, j'ai retrouvé Anne-Cécile devant la salle des fêtes de Charmes où elle fêtait son anniversaire avec celui de sa mère. Elle était si belle dans sa robe des Saturnales. Mais elle est toujours belle, ma cousine. Et intelligente, et généreuse avec ça ! Pourvu qu'elle ne se rende pas compte que je ne suis qu'une égoïste narcissique, sinon elle ne m'aimerait plus... Comment cela, je viens de passer deux pages à ne parler que de moi ?