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Désatres ô ciron
21 octobre 2009

Deutsch sprechen

Deutsch sprechen : tourner la langue dans sa bouche avant de parler, non pas sept fois, mais quatorze.

            Mes cours commencent demain. Enfin, je vais pouvoir m’immerger dans la vie sociale étudiante, c'est-à-dire cesser de fuir le contact avec mes colocataires parce qu’elles parlent allemand et que moi je ne parle pas allemand, cesser de regarder des séries sur internet parce qu’écouter les histoires des autres est toujours plus facile que vivre la sienne, surtout en VO non sous-titrée. Mais c’est fini, je vais me prendre en main. Je ne vais pas passer un an enfermée dans ma chambre parce que j’ai trop peur de parler. Ich werde Deutsch sprechen ! Jetzt !

Asinus asinum fricat

            Parler allemand, quoi de plus simple me direz-vous lorsque l’on est en Allemagne ? Eh bien non, ce n’est pas simple car l’allemand est francophile et plus ou moins francophone, ce qui fait que la plupart de mes dialogues avec l’indigène tourne vite en :

« Woher kommst du ?

- Ich komme aus Frankreich.

- Ach, Frankreich. Che parle moi-même une peu franzai. Usw. »

C’est désespérant ! Même les clochards et les enfants s’adressent à moi dans ma langue maternelle. Peut-être aussi que si j’arrêtais de faire mes yeux de victime, les gens auraient plus facilement confiance en ma capacité à comprendre ce qu’ils disent. Mais je suis sans doute la première à en douter.

Je pensais parler allemand pendant la semaine de conférence de l’International Office. Avec des étrangers, comment communiquer ? Certainement pas avec l’anglais. Eh bien non ! Tout avait pourtant bien commencé. J’avais écouté le discours du doyen de l’université (dont je n’ai pas saisi grand-chose, sinon qu’il allait y avoir de la neige cet hiver, que le printemps viendrait tôt et que nous avions bien fait de choisir cette université la plus vieille, la plus performante, la plus chaleureuse, la plus mirobolante d’Europe) et j’étais plongée dans une foule d’étrangers. C’était si impressionnant, j’entendais parler allemand avec tous les accents du monde. Je me suis sentie plus européenne que jamais. Mais un peu seule aussi. Je me suis donc tournée vers une fille qui se trouvait à proximité et qui avait l’air aussi perdue que moi. Nous nous sommes jetés des petits regards timides jusqu’à ce qu’elle vienne me parler.

« Woher kommst du ? » m’a-t-elle demandé.

Tout de suite, j’ai senti que quelque chose clochait, comme un accent familier…

« Frankreich.

- Oh moi aussi ! »

C’était donc ça ! Nous avons copiné et voilà comment je me retrouve à ne parler que français. Pire que ça, j’ai découvert immédiatement après qu’elle avait fait une prépa elle aussi. Asinus asinum fricat, quoi. C’est la formule qui m’est immédiatement venu à l’esprit (parce que oui, parfois des formules en latin me viennent à l’esprit), formule que je retire en m’excusant de ma prétention, car j’ai appris quelques jours plus tard que mon asinus l’avait eu, elle, l’E** (de Lyon d’accord, mais quand même), ce qui explique sans doute le fait qu’elle parle divinement mieux allemand que moi. Je veux dire, elle parle allemand, elle.

Des problèmes que pose la traduction ; ou de la surchauffe de mon cerveau

            Aujourd’hui, j’ai parlé allemand pendant une heure. Je me sens fatiguée comme si je venais de courir un marathon avec mon Gaffiot et mon Bailly dans le dos, j’ai mal à la tête comme si j’avais bu huit verres de tequila et surtout, je me sens euphorique comme si je venais d’écrire un chef d’œuvre. Ce qui est pratique avec l’allemand, c’est que les conversations durent plus longtemps. Je dis en une heure ce que je pourrais dire en dix minutes avec plus de subtilité. Ce qui est moins pratique avec l’allemand, c’est l’obligation que j’ai de traduire. L’aller-retour « allemand-français-français-allemand » est épuisant, d’autant plus que ce schéma n’est pas tout à fait exact.

En troisième, je n’avais pas réussi à dire un mot lors de mon voyage en Allemagne. J’avais mis ça sur le compte de mon manque de vocabulaire. Je ne savais pas parler allemand. J’ai passé ces deux dernières années à traduire des textes, à les éplucher pour trouver quelque chose d’intelligent à dire dessus. J’ai énormément progressé. Je croyais pouvoir parler allemand maintenant. Mais non, je n’y arrive toujours pas. D’une part parce que ma timidité germanosprechenophobe s’ajoute à ma timidité naturelle et que je déteste mon accent désespérément plat et mes phrases toutes faites, d’autre part parce que je ne reconnais pas les mots que j’entends. J’ai l’impression que mes longues heures d’étude de l’allemand écrit ne sont pas une aide. Elles sont même un frein. Pour moi, l’allemand est bien plus une suite de lettres qu’une suite de sons. Mon oreille ne capte pas l’accentuation et retraduit les sons qu’elle entend comme si c’était du français. Ainsi, lorsque l’une de mes colocataires s’est présentée (« -hallo isch binee Fa ! »), j’ai compris qu’elle s’appelait « Ifer ». Elle n’avait accentué que la consonne et mon cerveau français avait bouché les trous. En réalité, elle s’appelle Eva… Et comment reconnaître en « Ourrgili-ouss » l’auteur de l’Eneide ? Aussi pour comprendre ce que les gens disent, je dois passer par trois étapes :

1) Démêler les sons que j’entends.

2) Les rapporter à un mot allemand écrit que je connais.

3) Traduire le mot.

Autant dire que ça prend du temps.

Cela m’énerve d’autant plus que je ne peux pas dire tout ce que je veux. Je n’ai pas le temps de faire de l’humour ou même simplement de l’ironie. Je suis très premier degré en Allemand et ça ce n’est pas moi ! C’est si frustrant de ne pas pouvoir dire ce que l’on veut !

Exemple : j’explique à un néerlandais que je fais Klassische Philologie (= Lettres Classiques sans le français) et il me demande si j’aime le latin. J’ai bien envie de lui répondre que non, je déteste ça, que je préfère les math, mais que mes parents m’ont forcée à en faire. Et qu’est-ce que j’ai répondu ? «Ja »

En français, lorsque je parle, j’ai le choix : je peux dire simplement les choses, faire de l’ironie, faire des sous-entendus, des jeux de mots.

En allemand, il n’y a que deux cas de figure possibles : soit on me comprend, soit on ne me comprend pas.

Et souvent, c’est le deuxième.

Constatation n°1 : j’ai trouvé le scénario de Mission Impossible IV : Ethan Hunt doit expliquer en allemand à des étrangers ce qu’est une classe préparatoire.

Constatation n°2 : je suis indubitablement et irrémédiablement amoureuse de l’accent allemand. Mais comment résister à un allemand qui vous souffle « Pbonzoir ! » avant de demander « on dit biien kôm cela en franzai ? » ? 

reisevorbereitung

Vois-tu, Ulysse, comme je fais bon usage de ton cadeau ?

destall

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Commentaires
F
Das ist so geil, dass du in Deutschland jetzt lebst und studierst. Ich möchte, ich könnte dasselbe machen aber ich bin nicht sicher, dass ich so gut wie du auf Deutsch bin, um in Deutschland mein Studium zu machen.<br /> <br /> oui, je fais des efforts pour m'exprimer dans cette langue pour te répondre, parce que ton blog le mérite. C'est la première fois que je poste, mais je te trouve très drôle et j'envie vraiment ta motivation pour carrément étudier en Allemagne ! J'espère que j'ai pas trop de fautes.
U
Ja, das große Freude für mich zu sein.
Désatres ô ciron
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