Mes Paradous (2ème partie) Raon
En haut, le Donon et son temple romain du XIXème siècle, mauvaise copie romantique, mais vrai sanctuaire de notre imagination où la table d’orientation sert de pierre sacrificielle. C’est ici que Victor Hugo a été conçu. Une plaque l’indique. Donc c’est vrai. Le site est entouré de sapins, dans l’ombre desquels croissent loups amicaux, gastéropodes magiques et dragons agressifs. A la descente, nos pieds légers –toutes nos pensées sont déjà tournées vers les crêpes artistiques que nous confectionnerons en rentrant- font à peine craquer les aiguilles et ne s’arrêtent que pour admirer un « Gloire à Titou » qu’une main affectueuse a tracé dans le sable rose. Bercées par nos cours d’histoire et nos lectures, nous avons été tour à tour amazones, dieux égyptiens, prêtresses, courtisanes et chevaliers fougueux. Nous avons traversé les siècles le long du mur païen et rêvé d’acheter le Haut-Koenigsbourg. Mais nous nous éloignons du vrai Paradou.
C’est une petite maison grise, semblable à toutes les petites maisons grises de sa rue. Semblable à toutes les autres, mais particulière parce que le bois y chuchote des paroles rassurantes lorsque nous montons l’escalier grinçant qui mène à notre chambre. Planche après planche, pendant plus de vingt ans, notre grand-père l’a réparée, transformée. C’est ce qui en fait la plus belle maison du monde.
Comment la décrire ? Il y a d’abord ce jardin où l’on joue aux archéologues, déterrant des bouts de poterie et des balles allemandes. Il y a ce petit couloir de terre sèche qui trace une limite aride entre le terrain des voisins jaloux et l’herbe verte de celui de nos grands-parents. Au fond, un muret où il est si bon de s’asseoir lorsque que l’on déguste au soleil une plaque de chocolat, gain de la chasse au trésor qui vient de se dérouler. De l’autre côté, la remise, la « cabane d’Hagrid » qui sert de fondation à une vaste terrasse en bois doré. Quel plaisir de marcher sur les planches encore chaudes lorsque s’écrasent sur le sol les premières gouttes d’un orage !
La pièce centrale, la pièce de vie est celle du poêle, qui est resté pendant longtemps l’unique moyen de chauffage de la maison. Après une longue marche d’hiver, elle abrite nos pieds meurtris que réchauffe un chocolat chaud. En soirée, elle abrite maintenant nos confidences qui s’éternisent jusqu’à ce que s’éteigne la dernière flamme. Puis, les doutes s’atténuent, la fatigue se fait sentir. Dans le silence le plus relatif nous montons nous coucher. Dans Notre Chambre. La chambre qui a été créée pour nous, cousines. Cinq lits dont trois superposés. Indescriptible.
Premier grenier, large, sombre et froid, tour à tour dortoir, atelier ou salle de jeu. Troisième grenier, bas de plafond, sombre et froid. Au bout, une toute petite chambre, repaire de monstres et de sorciers maléfiques. Entre les deux, notre chambre, isolée du reste du monde par une paroi de bois. Le monde, on peut y accéder en montant sur la premier tiroir de la commode qui sert de marche-pied et permet de se hisser à la hauteur du vasistas. Mais le monde, on s’en fiche. On a en a passé des soirées, sur la mezzanine,s à nous raconter des histoires, allongées contre ce mur rassurant qui nous séparait du reste des combles, à recréer un autre monde, un monde idéal. Et lorsque très tard, nous rejoignions nos lits respectifs, bercée par le bruit de la pluie frappant contre la lucarne et le sifflement du vent dans les tuiles, c’est avec un sentiment de béatitude et de sérénité complète que je m’endormais.
Le temps a beau passer… Il n’est qu’à Raon que je puisse retrouver un pareil calme. Et chères cousines et sœurs, Emilie, Elise, Anne-Cécile, Ophélie, je n’échangerais votre présence contre aucune autre. Désolée d’avoir livré « notre lieu » à des yeux étrangers. Heureusement que sa peinture en est totalement fausse !
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