Puisqu'il faut un début...
C’est le 30 novembre 2007 que nous fîmes sa rencontre, Anne-Cécile et moi. Rien, pourtant, ce jour-là n’avait annoncé un tel bouleversement dans notre vie. Le ciel vomissait ce gris terne qui ne l’avait pas quitté depuis deux mois et qui allait nous accabler les cinq suivants. La matinée s’était déroulée lentement dans un demi-sommeil cotonneux comme chaque vendredi. Ô journée combien banale entre interrogation de vocabulaire allemand, aoriste grec et poisson pané ! Et pourtant… Le cours de français lui-même avait commencé comme d’habitude et nous somnolions depuis une heure déjà –cours sur Pascal oblige- lorsque résonna la question « Qu’est-ce qu’un homme dans l’infini ? ». Non pas que la question nous aie particulièrement interpellées –difficile d’être d’humeur métaphysique pendant la digestion d’un repas de la cantine-, mais c’est alors qu’il fit son entrée et dans le cours et dans notre vie : « Mais pour lui présenter un prodige aussi étonnant, qu’il recherche dans ce qu’il connaît les choses les plus délicates, qu’un ciron… » et j’arrête ici quelques instants la citation pour que vous ayez le temps de l’observer (attention, il va passer vite), le Ciron ! « … qu’un ciron lui offre dans la petitesse de son corps des parties incomparablement plus petites, des jambes avec des jointures, des veines dans ses jambes, du sang dans ses veines, des humeurs dans ce sang, des gouttes dans ces humeurs, des vapeurs dans ces gouttes ; que, divisant encore ces dernières choses, il épuise ses forces en ces conceptions, et que le dernier objet où il peut arriver soit celui de notre discours. » Notre discours à nous s’arrêtera bien avant cette autopsie, puisque c’est là qu’a cessé notre écoute du texte de Pascal. Anne-Cécile, prise d’une soudaine inspiration sauta sur sa plume et griffonna le petit animal dans la marge de mon cahier.
Dès lors, il ne nous a plus jamais quittées, coupé en deux par la Problématique –son ennemi majeur- dans nos cahiers de philo, adoptant le nom de Cirus entre deux traductions de la Cyropédie de Xénophon et poussant à tout va son petit cri si original « Ciron ! Ciron ! ». Et quel plaisir de le recroiser de temps en temps en cours de français ! Avec Hugo d’abord : « Sache que tout connaît sa loi, son but, sa route / Que de l’astre au ciron, l’immensité s’écoute » et Jarry plus récemment qui propose au docteur Faustroll un voyage que nous aurions aimé faire : « Et s’étant réduit, comme paradigme de petitesse, à la taille classique du ciron, il voyagea le long de la feuille d’un chou, inattentif aux cirons collègues et aux aspects agrandis de tout, jusqu’à ce qu’il rencontra l’Eau ».
A toi donc, Ciron, ineffable compagnon de route hypobranlante, je dédie ce nouveau blog.